Raphaël Poulain est un ancien rugbyman, passé par le Stade français pendant 7 ans, puis le Racing. Il a connu de nombreuses blessures, avant d’arrêter sa carrière et faire une formation de coach mental. Aujourd’hui, il livre son parcours par ses nombreuses conférences, en plus d’avoir sorti un livre il y a quelques années.
Ta carrière de rugbyman est terminée depuis une dizaine d’années, si tu avais un conseil à donner à quelqu’un qui espère embrasser une carrière professionnelle de rugby, lequel serait-il ?
Je n’ai pas véritablement de conseil à donner mis à part : « j’espère que tu vas rencontrer des gens qui vont te permettre de devenir qui tu es véritablement ». J’espère que tu vas rencontrer des gens qui vont t’inspirer, des gens qui vont te voir pour ce que tu es, qui vont t’apprendre à te connaître, qui vont te laisser jouer sur le terrain. Mais je n’ai pas de conseil à donner, d’ailleurs, je ne supportais pas qu’on m’en donne à 18 ans (rire). Parfois, je me demande même les conseils que je vais donner à mon fils, mais je crois que les meilleurs conseils à donner à son fils, sont les mêmes à donner à un jeune rugbyman. Lui apprendre à vivre de ses passions, l’encourager dans sa voie, lui apprendre à tomber mais aussi à se relever. Et j’insiste là-dessus puisque pour moi, c’est l’un des problèmes dans le rugby. On veut laisser les joueurs dans une espèce de surmotivation, qu’ils ne pensent qu’au rugby. Mais je pense que l’on devrait apprendre aux joueurs à se responsabiliser, leur permettre d’évoluer à tout niveau.
Mais cette forme de non-liberté, ça semble en arranger certains….
Oui, parce que si tu penses différemment, tu remets en question un système. Si j’arrive avec des compétences de coaching mental, je vais le proposer à un manager, mais si le manager est autocentré et persuadé d’avoir toutes les solutions, il va me dire « non ça c’est moi qui fais, ce ne sont pas tes compétences, ce sont les miennes ». Il se pose en « victime » et se dit : « lui, il veut me piquer mon boulot, il veut me piquer ma reconnaissance et mon égo », alors que c’est juste une compétence en plus. Actuellement, je suis en train de monter un projet. Je monte sur scène en septembre, j’ai un mec au marketing, un mec à la réalisation des vidéos, un metteur en scène et un producteur. Je suis le capitaine du navire, mais sans les autres je ne pourrais pas monter sur scène. Je dois accepter que les autres aient des compétences que je n’ai pas. Dans le rugby, il y a encore une forme de dépendance, un regard paternaliste qui étouffe aujourd’hui.
Le 11 juin 2005, c’est la date de ta fin de carrière. Avec le recul maintenant, qu’est-ce que le rugby t’a apporté ?
Le rugby, chacun le vit différemment, mais quand tu es dans un groupe, tu as l’impression que tu peux aller au bout du monde. Et c’est cette réflexion de se dire « j’apporte quelque chose au groupe », et d’ailleurs c’est hyper inconscient. C’est des mètres que tu vas gagner, des attitudes sur le terrain, comment tu vas relever ton coéquipier, comment les mecs vont te regarder à la fin du match.
Et j’ai l’impression que cette solidarité, on la ressent d’autant plus dans le rugby
Elle existe pendant 80 minutes. À partir du moment où tu as fait cinq minutes sur un terrain, tu es rugbyman dans le sens où tu te rends compte un petit peu de ce qu’il se passe. C’est presque inexplicable. Tu trouves ta place sur le terrain, donc tu as l’impression de trouver ta place dans un microcosme sociétal. Et c’est absolument génial, c’est l’allégorie du bus dont je parle souvent. Quand tu montes dans un bus de rugby, tu as les managers, tu as l’intendant derrière qui lavent les maillots sans qui tu jouerais à poil, derrière tu as les piliers, les introvertis, ceux qui foutent la tête là où tu ne mettrais pas les mains, puis les extravertis. Donc quel que part, tu as toutes la société dans un bus, et il faut de tout. Donc c’est une espèce de microcosme de vie que l’on rencontre au quotidien en entreprise ou dans le monde plus globalement. C’est cette diversité qui fait que tu trouves ta place. Après dans le rugby, il y a la notion de combat, la notion de dépassement, mais tout ça c’est inconscient. Quand tu arrêtes le rugby, tu te dis que ça te paraissait normal, parce que quel que part, c’est normal d’être sur le terrain. C’est normal de bosser, de faire de la musculation parce que tu as un objectif, au-delà de gagner des matchs, d’appartenir à un groupe, et de vivre une aventure humaine extraordinaire. Mais ça, il faut le mettre en avant, il faut aussi expliquer à la nouvelle génération la chance qu’ils ont de jouer au rugby, que ce soit au niveau amateur ou professionnel. Tu te crées des souvenirs, et aujourd’hui, les seuls souvenirs, c’est derrière un écran, c’est un peu dommage.
Dans le rugby, le « taux de dépression » en fin de carrière est important, et c’est le cas dans beaucoup d’autres sports. Comment tu l’expliques et qu’est-ce qui t’a aidé à faire ta reconversion ?
C’est un chemin, un voyage initiatique. La vie est un voyage qui est fait d’étapes, de chutes. Quand tu naîs, tu apprends et on t’apprends à marcher, tu arrives à l’enfance, tu as l’adolescence, puis tu rentres dans le monde adulte. Mais pourtant, personne ne t’apprend à devenir adulte. Tu deviens adulte en prenant des claques, et puis à un moment tu retournes le miroir et tu te dis « J’ai fait ça de bien, j’ai fait ça de mal. Je vais essayer de garder le bien de mon éducation, de la relation avec ma femme, je vais essayer de tirer des leçons du connard que j’ai été avec elle et aussi dans d’autres vies. Parce qu’il faut se remettre en question, et c’est dur ». Donc après, quand tu reviens de ce voyage-là, tu as affronté tes propres peurs. La peur primale, je pense que c’est la peur de l’abandon, la peur de la solitude. Et je me suis retrouvé seul dans la solitude à contrario de l’exposition quand j’étais rugbyman. Et puis, il y a un moment de ma vie où je me suis retrouvé seul face à moi-même. Ce moment-là il a été hyper dur, j’ai fini à l’hôpital psychiatrique, ça a été hyper dur parce que je n’ai pas pu m’accrocher à ma femme qui avait refait sa vie. Je ne pouvais plus m’accrocher à mes parents, je ne pouvais m’accrocher à personne. Donc je me suis laissé tomber, je suis tombé au fond de la piscine, et puis j’ai regardé en l’air et au fur et à mesure, j’ai appris à grimper. Vu que j’ai affronté mes peurs, je n’ai plus peur de grand-chose. Donc c’est un putain de voyage, et aujourd’hui je suis épanoui simplement parce que je suis fier de ce que je deviens en tant que père, en tant que mari et en tant qu’homme. J’avais un rêve de gosse, je suis en train de le réaliser, mais je me suis donné pour ce voyage-là.
Et dans les bas, tu as eu 6 blessures durant ta carrière. Tu as déclaré que tu n’avais eu aucun soutien psychologique au niveau sportif. Si tout pouvait changer les choses, qu’est-ce que tu ferais ?
L’accompagner. C’est un accompagnement pendant la blessure ou même l’accompagnement d’après carrière. Aujourd’hui, ceux qui s’en occupent sont les kinés, ce sont ceux qui vont te rééduquer mais qui n’ont pas forcément les compétences pour t’accompagner psychologiquement pour revenir d’une blessure. Aujourd’hui, un préparateur mental comme Olivier Lepretre (préparateur mental anciennement du Stade Toulousain) que j’ai reçu il n’y a pas longtemps, a les compétences pour t’accompagner et essayer de visualiser la fin de la blessure, visualiser le retour sur les terrains, et que tu seras à 200 %, et donc remis de ta blessure. En fait, il y a tout un processus psychologique qui s’enclenche, et puis surtout, tu as une forme de reconnaissance, même quand tu es blessé. Ça veut dire que tu as quelqu’un qui s’occupe de toi, donc que tu fais encore partie d’une histoire.
Tu es comme extérieur au groupe….
Tu es spectateur, et quand tu reviens c’est presque contre ton corps parce que tu as envie de te rééduquer plus rapidement. Psychologiquement, tu as une fatigue qui s’installe, quand tu reviens sur le terrain tu as envie de prouver, donc tu es en surmotivation. En entreprise ça se traduit par le burnout, et dans le sport, c’est la contre-performance ou la blessure. Et moi j’ai accumulé ça, donc je me l’explique comme ça, mais c’est vrai que lorsque j’en discute avec ceux qui sont concernés, qui connaissent la blessure et qui sont sportifs, on se rend compte qu’on vit ou qu’on a vécu la même chose et quel que soit le sport.
Cela fait partie des choses que tu expliques dans ton livre, « quand j’étais superman », publié en 2011. Pourquoi as-tu décidé d’écrire ce livre ?
Mon livre, je l’écrivais pendant deux ans la nuit. Un jour, j’ai fait un déménagement avec un ami, on traversait la France, il faisait -10°, de la neige, j’avais mon ordinateur, à 160 avec la voiture pleine. J’arrivais chez les parents de mon pote, dans Paris la nuit. Je me baladais avec mon téléphone portable, et j’écrivais un peu tout ce qui me passait par la tête. Et j’ai fini par rencontrer une fille qui m’a dit qu’elle connaissait quelqu’un qui pouvait être intéressé. J’avais 700 pages mais je ne voulais pas en faire un bouquin. J’ai parlé avec ce gars-là, il a lu les 700 pages et il m’a dit qu’il faudrait trouver quelqu’un pour synthétiser et en faire 250 pages. Au début, il fallait accepter qu’un mec ait accès à ma vie, Et d’ailleurs, je lui rend hommage. Il avait un marronnier et il en a fait un petit bonzaï. Au final, on en a vendu 30 000. Et il n’y a pas si longtemps, je faisais une conférence pour en parler, et aujourd’hui j’en ai fait 70. Je ne pensais pas faire des conférences. C’est un rêve de gosse de pouvoir monter sur scène, je me sens acteur de ma propre vie.
« On a pris de grandes claques en essayant d’imiter les autres nations »
L’actualité rugby sur les nombreux « drames » et donc sur la sécurité des joueurs fait débat et interroge de plus en plus. D’après toi, que peut-on changer pour améliorer la situation ?
On ne va pas se voiler la face. Le rugby vit une véritable crise identitaire. Au-delà de l’équipe de France, c’est tout un système qui s’est cassé la gueule, et cela fait aujourd’hui 10 ou 15 ans que ça dure. Les réponses, il faut les trouver ensemble. C’est les joueurs qui viennent d’arrêter (leur carrière) qui doivent se réunir avec des spécialistes. Des spécialistes de commotions, des préparateurs physiques aussi. Comme je le dis souvent : « avant toute révolution il faut traverser des moments de crise », comme les All Blacks l’ont traversés, comme les Anglais l’ont traversés, comme les Irlandais l’ont traversés. Il y a un moment où tu t’assoies sur une table, et tu vas chercher les spécialistes de leurs domaines. Et puis tu essaies de construire un projet de jeu et surtout un sport. Un sport se révolutionne sauf que nous, on ne s’est pas révolutionné. On a pris des grandes claques en essayant d’imiter les autres nations. Au final, on s’est complètement oublié en tant que sport. Donc je pense qu’il faut chercher à bien comprendre ce qui s’est passé sur les cent dernières années, et c’est notamment ce qu’essaie de faire Mathieu Blin avec son projet de film documentaire (explication ici). Moi, je ne suis pas le mieux placé pour trouver des solutions, même si encore une fois, je pense que le coaching mental est l’une des solutions. Et il faut sensibiliser le monde du rugby à ça, quand tu parles de psychologie dans le sport, ça reste tabou. Mais pleins de choses peuvent être faites, sur la santé des joueurs, les zones de plaquages, l’évolution des gabarits aussi et arrêter de se renforcer à grands coups de musculation et avoir des mecs de 120 kilos. Les corps sont vraiment « athlétisés », on n’a plus trop de « lourd ». On a besoin d’avoir des gabarits athlétiques qui se déplacent, et puis tout ça va amener au rugby d’évitement. En tout cas, tout ça prend du temps. Il faut échanger, parler, et prévenir, pour trouver des solutions.
Les 6 nations ont été compliqué pour l’équipe de France, mais une échéance arrive en septembre avec la coupe du monde de rugby au Japon. Les bleus peuvent-ils allez chercher un résultat ? Et pourquoi les bleus sont dans la difficulté ces dernières années pour toi ?
On a mis sous le tapis pleins de comportements : politique, au niveau de la ligue, ou même des clubs. Des histoires d’inflations au niveau des salaires, des joueurs qui mettent en priorité leurs carrières individuelles, et leurs clubs plutôt que l’équipe de France. La passation aussi, entre la génération de Thierry Dusautoir et la nouvelle génération, qui ne s’est pas faite naturellement puisque l’argent et l’image sont au milieu. Je pense que nous avons perdu du temps à essayer d’imiter les autres nations. Aujourd’hui, plutôt que de penser à la coupe du monde 2019 ou 2023, il faudrait déjà penser au présent, et panser les plaies du passé. Il faudrait déjà constater les problèmes, trouver les solutions ensemble, et ensuite pouvoir se projeter. Mais si on commence déjà à se projeter sans avoir réglé les problèmes du passé, c’est comme un couple qui veut avoir un enfant pour oublier leurs problèmes de couple. Je pense qu’il faut avoir la capacité de se parler, de voir ce qui s’est mal passé, et se dire : « maintenant qu’on a mis les choses à plat, on va pouvoir créer pour la suite. » Mais ce sont des choses qui prennent du temps.
Est-ce que tu es optimiste concernant cette future génération qui arrive, qui enchaîne les bons résultats ?
L’équipe a joué pendant 4 ans ensemble, donc les résultats sont là. Parce que sur le terrain, les mecs se trouvent, parce que les mecs s’apprécient, aiment vivre ensemble, et donc ils se trouvent les yeux fermés. Forcément, des automatismes se créent… Alors que la France aujourd’hui, c’est 6 charnières en 13 matchs ou 14 matchs. Quand on voit l’équipe d’Angleterre qui utilise 40 joueurs alors que l’équipe de France en utilise 80 ou 120, ça n’a pas de sens. Les -20 ans, ils utilisent 35 joueurs, et ceux qui sont blessés restent quand même pour l’équilibre et le bon vivre ensemble. À l’heure actuelle, l’équipe de France est à des années-lumières de ça, pour créer des objectifs communs, il faut des valeurs communes. Une charte, des gens compétents… Le problème est vraiment global, arrêtons de dire que la faute n’est que le problème d’une chose, de quelqu’un, de J. Brunel par exemple. On ne peut lui en vouloir, il ne peut pas être l’unique responsable, le rugby français aujourd’hui traverse une crise.
Pour terminer, qu’est-ce que l’on peut vous souhaiter de meilleur pour la suite ?
Honnêtement, rien puisque je suis heureux au présent. Mais si je dois répondre, je dirais la santé morale et la santé physique. La santé physique, puisque je pense que nous sommes tous touchés de près ou de loin par un problème de santé, donc je pense que la santé est primordiale, et aussi pour voir mes enfants évoluer. En tout cas, actuellement je vis des moments sympas et je les savoure. Il y a toujours cette peur de se dire : « qu’est-ce qu’il va arriver demain ? », mais celle-ci je l’ai atténué.
Merci à Raphaël Poulain d’avoir accepté de répondre à nos questions.