Nous avons eu la chance d’échanger avec Michaël Jeremiasz, joueur de tennis fauteuil pendant 15 ans. Un palmarès époustouflant. Pas moins de 8 grand chelem remporté en double, médaillé à plusieurs reprises aux jeux paralympiques. Michaël est revenu avec nous sur sa carrière, son parcours, ses convictions et ses ambitions.
On parle finalement peu de votre “avant-accident”, vous avez déclaré “j’ai vécu plusieurs vies en une”. Avant cet accident, c’était quoi l’objectif dans la tête de Michaël Jeremiasz à 17-18 ans, devenir tennisman ?
Absolument pas. J’étais même sûr de ne jamais être champion de tennis à 18 ans, je le savais déjà à l’âge de 12 ans. Avant l’accident, j’entrais tout juste dans une fac de langue étrangère appliquée, et je pratiquais du sport en tant qu’amateur, juste pour le plaisir.
Arrive ce jour du 7 février 2000, où un accident de ski vous rend paraplégique à l’âge de 18 ans, s’ensuit 9 mois de rééducation. Et finalement votre carrière professionnelle en tant que joueur de tennis fauteuil commence en 2001, soit quelques mois seulement après la fin de votre rééducation. D’où vient ce déclic si rapide finalement ?
C’est des rencontres, dans le centre de rééducation, j’ai eu la chance d’assister à la coupe du monde par équipe de tennis fauteuil la même année en France, où j’ai vu les meilleurs mondiaux s’affronter. C’est un concours de circonstances puisque j’ignorais que le tennis fauteuil existait avant l’accident, je ne savais pas ce que c’était le monde du handicap. J’ai aussi eu la chance de rencontrer un entraîneur formidable, Jérôme Delbert qui m’a tout appris.
Et puis seulement 3 ans après vos débuts, vous êtes 1er au classement ATP en double et en simple rapidement après. Est-ce que pour vous, d’avoir joué en tant que valide au tennis avant votre accident a été un avantage ?
Oui complètement. J’ai pratiqué le tennis dès le plus jeune âge, j’avais déjà des bases techniques. J’ai donc gagné énormément de temps dans l’apprentissage. Le plus gros travail a été dans l’adaptation, je n’avais pas à apprendre à jouer au tennis, j’avais juste à adapter mon jeu. Il a quand même fallu apprendre, il y a évidemment des différences. Mais c’est vrai que mes bases ont été un plus dans mon apprentissage, ça m’a permis d’apprendre plus vite.
Et sinon, avec le recul, comment expliquez-vous ce succès quasi-immédiat en tennis fauteuil ? Est-ce la seule raison de ce succès si rapide ?
Non. La vraie raison, c’est que je n’ai jamais vu le fauteuil comme un ennemi, je n’ai jamais vu le fauteuil comme quelque chose de limitant, au contraire. Apprendre à se déplacer avec le fauteuil dans la vie de tous les jours, tout de suite ça a été un jeu pour moi, et quand il a fallu que j’apprenne la mobilité pour le tennis fauteuil, assez rapidement, pas le premier jour, mais après quelques entraînements, j’ai commencé à voir ça comme un vrai challenge.
Aux JO de Pékin en 2008, arrive le “graal” avec cette médaille d’or en double avec Stéphane Houdet. Qu’est-ce qu’on ressent à ce moment ?
On est fier, c’est indescriptible. C’est des jours et des jours de bonheur, plus d’un mois de fête, de célébration. Mais avant tout beaucoup de fierté, un accomplissement.
Et pour parler de votre partenaire, Stéphane Houdet, avec qui vous avez gagné de nombreux titres en double, comment le considérez-vous ? Quelle relation avez-vous avec lui ?
Avec Stéphane Houdet on a eu une relation particulière, c’est clair que le sport et nos souvenirs communs nous ont forcément lié. On a été extrêmement proche. Puis après ma carrière, on s’est perdu de vue, on s’est éloigné notamment pendant les jeux de 2012 et complètement par la suite. Mais on a partagé un moment unique tous les deux, et ça, on ne peut pas l’oublier.
En 2016, vous devenez le porte-drapeau de la délégation française aux jeux paralympiques, drapeau remis par Teddy Riner. Être porte-drapeau, c’est plus que des performances sportives, c’est aussi les valeurs que l’on véhicule. Comment on se sent à ce moment-là ?
C’est surtout ça au final. Sinon il y a plein de champions qui peuvent être porte-drapeau, qui ont été champion paralympique, ou champion du monde. Mais sélectivement, c’est une valorisation de qui vous êtes en tant qu’homme, en tant que meneur d’hommes, en tant que personne engagée. Et c’est surtout ça qui me rend fier.
Je parlais de Teddy Riner précédemment, c’est lui qui a écrit la postface de votre livre qui s’intitule “Ma vie est un sport de combat”. Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
C’était d’abord une quête d’authenticité. Que les gens me voient en tant que Michaël Jeremiasz, que les gens aient accès à ce que j’ai dû mettre en place, et faire pour en arriver là où je suis aujourd’hui. Les choix que j’ai dû faire, mon parcours. Le livre est aussi un plaidoyer. Pour que les gens comprennent également quels sont mes engagements et mes motivations.
Et quelle cible vouliez-vous toucher ? Quel message vouliez-vous porter ?
Je voulais toucher une cible universelle. Ce qui m’est arrivé peut arriver à n’importe qui, et l’idée de la biographie, ce que moi j’en raconte, c’est que l’accident de la vie est commun à tout le monde. Chacun à différentes échelles, la perte d’emploi, la maladie, la perte d’un proche. À travers ce livre, je partage des outils que j’ai utilisé pour rebondir dans mon parcours, et si ça peut en inspirer, aider, ne serais-ce qu’une personne, ce serait un défi de réussi.
Pour terminer, on est le 11 octobre 2018, qu’est-ce que je peux vous souhaiter pour la suite ?
(Il réfléchit). Continuer à prendre autant de plaisir dans ce que je fais. Continuer à être heureux, et aussi être utile socialement parlant.
Un grand merci à Michaël Jeremiasz d’avoir accepté cet entretien.