Passionnée de balle jaune, joueuse de tennis depuis 20 ans, Liliana Cocer Roa s’est tournée vers l’arbitrage il y a maintenant 5 ans. Aujourd’hui elle officie dans les plus grands tournois et nous raconte son parcours.
Comment est ce que votre chemin a croisé celui de l’arbitrage ?
J’ai été amené à faire de l’arbitrage parce que dans mon club, il y avait besoin d’un arbitre pour les matchs par équipe. Je me suis inscrite à la formation avec une amie en me disant que ça pouvait être sympa de voir le tennis autrement, d’accéder à l’envers du décor.
Et l’arbitrage, c’est votre emploi à temps plein ?
Non, pour moi l’arbitrage au début c’était vraiment pour donner un coup de main. Je n’ai pas commencé ma formation en aillant l’ambition d’en faire mon métier. On commence généralement dans son club. Puis on commence à se faire connaitre et on est de plus en plus sollicité en fonction du niveau et de l’implication qu’on y met. On est ensuite amené à passer le niveau A2 d’arbitrage (2ème niveau d’arbitrage) qui permet d’arbitrer dans sa région et même parfois en France au sein d’évènements importants.
À quel niveau êtes-vous arbitre ?
Actuellement je suis arbitre niveau A3. Cela me permet d’arbitrer au niveau fédéral. Je peux avoir la fonction principale d’arbitre de chaise sur des compétitions semi-professionnelles. En France c’est le niveau maximum que l’on peut obtenir auprès de la FFT. Pour être arbitre de chaise au sein des compétitions professionnelles de type tournois ATP 500, Masters 1000 ou Grand Chelem, il faut obtenir le niveau international auprès de l’IFT.
« Tous les jours on a un débrief pour voir ce qui a été ou non et comment s’améliorer. Il y a une vraie préparation en amont qui est faite. »
Il existe 3 types d’arbitre au tennis, l’arbitre de chaise, le juge arbitre et le juge de ligne. Pouvez-vous nous expliquer les différentes spécificités de ces fonctions ? En tant qu’arbitre fédéral, pratiquez-vous les 3 fonctions ?
Étant donné que je suis arbitre de chaise au niveau fédéral, je peux être amenée à être juge de ligne sur des tournois professionnels type challenger, tournois WTA ou ATP. Sur ces niveaux là, ce sont les arbitres badgés (niveau international) qui officient sur la chaise. Les arbitres niveau A2, A3 et quelque fois A1 peuvent être juge de ligne et uniquement juge de ligne.
Une fois dans le match, chacun a sa fonction. L’arbitre de chaise gère le match, le contact avec les joueurs, prend la décision d’une interruption, l’intervention d’un kiné ; il a une fonction très spécifique sur le match.
Les juges de ligne peuvent être de 1 à 9. Ils ne s’occupent que de l’arbitrage d’une seule ligne et vont juger si la balle est bonne ou faute. Ce rôle demande beaucoup de concentration sur une seule ligne, il faut être attentif en permanence. Les juges de ligne sont amenés à se reposer au cours d’un match. Il y a des rotations entre plusieurs équipes. On peut avoir 2 ou 3 équipes sur un terrain avec des rotations de 45 min à 1h. Si l’équipe d’avant a été superbe, on essaye de garder la même dynamique et si à l’inverse il y a eu quelques erreurs, l’arbitre de chaise peut décider de changer d’équipe et celle qui rentre va essayer de rattraper le coup.
L’important pour un juge de ligne va être de ne pas se tromper mais aussi de bien « vendre son annonce ». C’est-à-dire annoncer clairement et suffisamment fort pour crédibiliser son annonce et ne pas mettre le doute dans la tête des joueurs. Il y a des zones dans lesquelles l’arbitre de chaise à une moins bonne perspective et c’est là que le juge de ligne est déterminant.
Le juge arbitre est plus en retrait du match en lui-même. Son rôle est que le match se déroule correctement mais aussi que les matchs se déroulent dans l’ordre prévu, et se terminent dans la journée. Si un joueur a besoin d’un médecin ou s’il y a des doutes sur certains aspects règlementaires c’est également à lui que l’arbitre de chaise fait appel.
Comment se passe la préparation d’un match avec toute l’équipe d’arbitrage (juge arbitre, arbitre de chaise et juges de ligne) ?
Il y a toujours un débrief de la veille en début de journée, généralement dans les grandes compétitions, pour préparer tout le monde à l’enjeu et à l’évènement. S’il y a une question sur un détail pour un des arbitres, elle est discutée dans cette réunion. On va être attentif aux paris sportifs sur le cours car on essaye de les prohiber. On tente d’avoir aussi des tendances sur les jours précédents, savoir ce qui s’est bien passé ou non et voir sur quoi il faut faire plus attention. Tous les jours on a un débrief pour voir ce qui a été ou non et comment s’améliorer. Il y a une vraie préparation en amont qui est faite.
Avez-vous déjà vécu des situations un peu « chaudes », des litiges avec certains joueurs qui peuvent avoir des réactions plutôt sanguines ?
En tant qu’arbitre de chaise, il m’est arrivé de juger une balle bonne ou faute et que le joueur n’ait pas la même appréciation et s’énerve. Quand on est un peu plus aguerri, on arrive de mieux en mieux à communiquer avec les joueurs, à gérer ce genre de situations. Les joueurs ont une finalité, c’est de gagner et moi je n’ai aucune finalité. Pour certains joueurs, c’est quasiment leur métier donc tous les points comptent.
Pour rebondir sur la question précédente, au tennis il y a un outil qui permet de régler un bon nombre de litiges : le hawk eye ou foxten. Que pensez-vous de cet outil ?
Il est beaucoup utilisé dans les gros tournois type masters 1000 ou Grand Chelem, parce que ce sont des installations qui coutent très chères. C’est un dispositif qui comporte 46 caméras autour du cours et qui offre une meilleure perspective que l’œil humain. On peut avoir une manière de voir la balle et quand on voit la vidéo on se rend compte que l’on s’est trompé de quelques millimètres. C’est un outil qui est utilisé mais pas illimité et les joueurs savent comment et quand l’utiliser.
« Le plus important est de savoir quelle décision prendre à quel moment »
En quoi consiste la formation d’arbitre de tennis ?
C’est une formation pour les gens qui sont aguerris de tennis. Elle porte sur les règles du jeu mais pas seulement.
D’autres paramètres comme la taille du terrain, ce qui est autorisé ou non pour les joueurs valides et non valides ainsi que le code de conduite que l’arbitre doit faire respecter aux joueurs sous peine de sanctions sont également à assimiler.
Il y a pas mal d’étapes à apprendre et quand on commence une formation d’arbitre au tennis, on commence par le plus basique : compter les points, observer les joueurs, savoir quand et comment les sanctionner s’ils ne respectent pas le code de conduite. Le plus important est de savoir quelle décision prendre à quel moment.
C’est une formation qui dure combien de temps ?
La formation va se dérouler sur des demi-journées (4 demi-journées) où l’on a beaucoup de formation théorique puis 2 demi-journées avec de la pratique, c’est-à-dire des matchs réels avec un niveau assez bas mais duquel on va commencer à s’entrainer.
L’entrainement passe aussi par la voix. Quand on est sur une chaise, il faut pouvoir être entendu de manière distincte par les joueurs. Et à la fin on a un examen écrit et pratique.
Est-ce qu’il y a de l’arbitrage professionnel au niveau fédéral ou est-ce que ce n’est qu’au niveau international ?
Ça dépend des disponibilités. Certains sont niveau A2, A3 et essaye de le faire à temps plein mais ça demande beaucoup de sacrifices parce que c’est beaucoup de voyages, on est limité au niveau des revenus non-imposables. Mais au niveau fédéral, très peu vivent de ça. C’est plus fréquent au niveau international où le salaire est plus important et varie en fonction du niveau. Certains ont des contrats avec les différentes instances (ATP, WTA, ITF). Mais pour atteindre ce niveau ça prend des années. Les plus hauts badgés français ont établi leur carrière sur 10 ans pour atteindre ce niveau.
Voyez-vous des spécificités à l’arbitrage dans le tennis par rapport à l’arbitrage dans le sport en général ? Des similitudes ?
Je ne connais pas trop les autres métiers (de l’arbitrage) mais je sais qu’il y a beaucoup de similitudes au niveau de la communication avec les joueurs. Il faut vraiment bien connaitre les règles, pouvoir se faire respecter mais aussi être assez souple. Le tennis est un sport individuel où la gestion des émotions est primordiale. Les joueurs peuvent avoir des réactions émotionnelles par rapport à un point, à un état physique ect. On peut faire face des réactions à chaud qu’il faut pouvoir non pas contrôler mais comprendre. Le joueur connait le règlement autant que moi, il faut donc savoir lui expliquer que son comportement n’est pas adapté. Il faut aussi savoir parler différentes langues car il y a beaucoup de joueurs étrangers. Les conditions peuvent aussi être très difficiles : on ne va pas forcément avoir de chauffage, il peut faire très froid ou chaud. Il y a plein d’éléments à prendre en compte et à anticiper avant de rentrer dans son match que ce soit pour l’arbitre de chaise ou le juge de ligne.
Est-ce qu’il est plus difficile de se faire une place quand on est une femme dans le milieu de l’arbitrage au tennis ?
L’arbitrage en général est un milieu qui n’est pas beaucoup féminisé, c’est la même chose dans le tennis. De manière générale, il faut avoir des compétences, être discret, ne pas faire trop parler de soi pour faire sa place dans ce milieu. Et je pense que l’on va demander plus d’exigence au niveau des compétences à une femme. Également, comme c’est un milieu très relationnel, il faut bien s’entendre avec tout le monde. Il y a un travail de collaboration qui est important et quand on est une fille on va plus demander de retour d’expérience et c’est un jugement qui se fait au niveau des compétences. En ce moment, la politique de la FFT (Fédération française de Tennis) est de promouvoir le tennis féminin que ce soit pour les joueuses comme pour les arbitres donc c’est plutôt encourageant.
À propos du match Wawrinka-Tsitsipas : « En tant qu’arbitre ça donne envie de rester sur le terrain et de ne pas sortir au bout d’une heure »
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui s’intéresse à l’arbitrage au tennis ?
Qu’il reste passionné. Si l’on rentre là-dedans c’est que l’on aime ça. Après il faut avoir de la patience, y trouver du plaisir, voir comment on peut s’améliorer au quotidien. Le partage d’expérience avec les autres arbitres est très important et permet de ne pas tomber dans les pièges qui peuvent être évités.
Est-ce qu’on prend du plaisir en tant qu’arbitre à arbitrer un beau match ou est-ce que la concentration prend le dessus ?
Il y a beaucoup de matchs auxquels j’ai pu assister qui ont été exceptionnels. Le dernier en date est le match Wawrinka-Tsitsipas à Roland Garros où j’étais sur le terrain. J’ai vu des échanges hallucinants avec beaucoup d’énergie et des joueurs qui donnaient un maximum pour chaque point. En tant qu’arbitre ça donne envie de rester sur le terrain et de ne pas sortir au bout d’une heure.
L’ambiance autour du court peut aussi être très impressionnante. Un de mes meilleurs souvenirs en tant qu’arbitre était d’être pour la première fois sur le court central à Roland Garros le premier jour du tableau final et de voir une telle foule autour de moi. C’est des sensations, des moments que l’on ne vit qu’une fois et que l’on garde en tête tout le temps.
©Adam Pretty/Getty Images
Une anecdote sur un des matchs que vous avez arbitré ?
En tant qu’arbitre de chaise, il y a une rencontre que j’ai beaucoup apprécié. En match par équipe (matchs entre les clubs), lors d’un des matchs décisifs pour la rencontre, les deux joueurs faisaient des fautes de pieds. J’ai prévenu, puis retiré des services. Et alors que le match se passait plutôt bien au tie break du 3ème set j’annonce un ace faute car le joueur avait fait une faute de pied. Alors le joueur s’est énervé et c’est la chose qui est resté dans mon club, que j’étais une arbitre qui annonce les fautes de pieds, même au tie break du 3ème set (rires), même si je n’ai fait que remplir ma mission et appliquer le règlement.
Votre tennisman préféré ?
Rafael Nadal. Il est impressionnant, il ne lâche rien sur le court. Même s’il n’est pas le plus complet au niveau technique, il est extrêmement compétiteur, très humble. Il ne va pas casser une raquette parce qu’il est énervé. Il va essayer de rebondir au prochain point et rester le plus correct possible avec les arbitres, le public et les ramasseurs de balle.
Le plus bel évènement auquel vous ayez participé en tant qu’arbitre ou juge de ligne ?
Les 3 dernières éditions de la FED CUP en France. C’est toujours un pincement au cœur parce qu’il y a une belle ambiance, il y a le public qui chante, c’est familial et à la fois un énorme évènement. C’est toujours une fierté de participer à ce genre d’évènements.
Merci à Liliana Cocer d’avoir accepté de répondre à nos questions.