Bertrand Antoine, responsable des U16 au sein du centre de formation du FC Metz nous parle de sa carrière de formateur, de son métier, du FC Metz mais surtout de sa passion : le football.
Vous êtes actuellement responsable des U16 du FC Metz, quel a été votre parcours pour en arriver là, et en quoi consiste votre fonction actuelle ? Avez-vous toujours voulu travailler dans le football ?
J’ai 42 ans et j’entame ma 21ème saison d’entraîneur. En catégorie de jeunes, j’ai été joueur dans des clubs de la banlieue messine (APM Metz et RS Magny) au niveau amateur. Je n’ai pas connu le monde professionnel car je n’avais tout simplement pas le niveau pour être un joueur pro. J’ai rêvé et j’ai voulu l’être mais j’ai vite compris que je ne le serai pas (rires).
Au départ je n’avais pas forcément la volonté, en tout cas je n’imaginais pas devenir entraîneur de football, en faire mon métier et en vivre. J’ai commencé à passer mes diplômes à l’âge de 20 ans (en 1996) et à travailler dans le football en 1998, l’année où la France est championne du monde. J’ai alors eu la chance de bénéficier des contrats emploi-jeunes. Je commence par intégrer le District Mosellan de Football en tant qu’assistant technique départemental. Et, j’ai une première expérience de coach avec la responsabilité des poussins (1ère année) au FC Metz durant une saison.
Ensuite, je passe 8 ans à la RS Magny, un club amateur de niveau régional. J’y entraîne les 13 ans, les 14 ans Fédéraux, les 15 ans, les 16 ans Nationaux et les 18 ans la dernière année. Pendant ces 8 ans, je reste employé au DMF.
Enfin, je reviens à Metz durant la saison 2007-2008. Pendant 3 ans, je m’occupe des 12 ans puis des U14 tout en continuant à travailler au district. A partir de 2010, je rentre à temps plein au club en tant que responsable de la Préformation, fonction que j’occupe pendant 6 ans. Ensuite je suis 2 ans responsable des U17 Nationaux, de 2016 à 2018.
Cette année, j’accompagne Sylvain Marchal, ancien joueur professionnel formé au FC Metz qui est l’actuel coach des U17 Nationaux et je suis également responsable des U16. La particularité est que les U16 et les U17 fonctionnent ensembles. Les U17 jouent un championnat national et les U16 seulement des matchs de formation mais les deux groupes sont liés. Certains U16 jouent des matchs du championnat national U17, et inversement, certains U17, qui ne jouent pas en championnat, participent aux matchs en semaine des U16 ; donc je suis l’adjoint de Sylvain Marchal.
Aujourd’hui vous possédez un DESJEPS (Diplôme d’État supérieur de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport) et une Licence UEFA A qui vous permet d’entraîner des équipes professionnelles. Est-ce que vous envisager d’entraîner un jour un effectif professionnel ?
Quand j’avais 20 ans, je n’imaginais jamais être entraîneur à temps plein et vivre de ma passion. Aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, je n’imagine pas être entraîneur à ce niveau-là.
Premièrement, car je n’ai pas le diplôme pro qui me permettrait d’entraîner en Ligue 1 ou en Ligue 2. Le DES (Diplôme d’État Supérieur) ne me permet d’entraîner jusqu’au niveau National 2. Deux possibilités s’offrent encore à moi. Soit le BEFF (Brevet d’Entraîneur Formateur de Football), pour être formateur, nécessaire pour devenir directeur d’un centre de formation par exemple. Soit le BEPF (Brevet d’Entraîneur Professionnel de Football) obligatoire pour devenir entraîneur de football de la division National à la Ligue 1. Mais l’accès est compliqué pour plusieurs raisons. D’une, par rapport à mon parcours de joueur. Le fait de ne pas avoir joué à haut niveau est un frein. Parmi les prérequis dans les dossiers d’inscription, le fait d’avoir été joueur professionnel permet de bénéficier d’un cursus accéléré. Pour ma part, j’ai obtenu mon DES en 2015 mais j’ai commencé à passer mes diplômes en 1996. Il m’a fallu 19 ans pour aller jusqu’à ce diplôme. En comparaison, Sylvain Marchal avec qui je travaille, a mis 3 ans pour obtenir ce même diplôme. Ce qui est certain, c’est que l’expérience qu’ont accumulé ces joueurs-là dans leur carrière est un plus, surtout pour la gestion d’un vestiaire et d’un groupe pro. Après, un « bon joueur » ne fait pas forcément un « bon éducateur », mais si vous avez les qualités pour devenir entraîneur le fait d’avoir une carrière est un vrai plus. Vous serez plus performant de par l’expérience. De plus, le DES est une formation sélective et onéreuse. Il y a énormément de candidatures et ce type de diplôme est onéreux.
Deuxièmement, je pense que ça n’est pas le même métier. Je mesure la chance qui est la mienne d’évoluer dans une structure professionnelle et je suis très heureux comme ça.
Cet été, à l’instar de nos bleus, vous avez vous aussi mené la France au sommet d’une compétition internationale en devenant champion du monde de football unifié. Pouvez-vous nous expliquer ce quoi il s’agit et ce que vous retirez de cette expérience ?
Special Olympics est un mouvement lancé aux États Unis en 1968, qui permet à des personnes en situation de handicap mental de pouvoir s’épanouir grâce au sport. « Special Olympic France » a sollicité le FC Metz afin de représenter la France en unifiant des jeunes des établissements spécialisés de la Moselle avec des garçons issues du football dit « ordinaire » pour participer à une compétition à Chicago. Au sein du club, le choix a été porté sur les U17. Étant en charge de cette catégorie la saison passée, le projet m’a été confié et on a constitué une équipe de toute pièce avec Julien ARANDA et Jérémy WALIN.
On a eu la joie de remporter la seconde division de la compétition. La philosophie est que chaque participant puissent être champion à son niveau. Terminant deuxième de notre poule, on a été reversé dans la phase finale de la seconde division et que l’on a remporté.
De cette expérience j’en garde sans doute un de mes plus beaux souvenirs de coach. On a su allier performance et plaisir. Notre équipe était intrinsèquement moins forte que les autres. Par exemple, l’Uruguay qui termine premier de notre poule, a aligné des joueurs venus de tout le territoire pour une moyenne d’âge de 24 ans. De notre côté nous n’avions que des joueurs mosellans et notre moyenne d’âge était de 18 ans. Ils s’entrainaient chaque semaine et nous une fois par mois. À l’arrivée, on perd 2-0 (en poule) fort logiquement contre eux, avec un peu plus de réussite on aurait peut-être pu espérer mieux. Mais c’était très bien ainsi ! Je retiens également l’unité avec le staff et le partage avec les joueurs. Cette équipe s’est constituée en octobre 2017, la compétition s’est déroulée en juillet 2018 et malgré tout l’équipe était cohérente. Ce fut un réel plaisir de voir les « athlètes » (joueurs en situation de handicap mental) et les « partenaires » (joueurs du FC Metz) jouer ensemble avec envie et générosité. Ils ont été capable d’élever leur niveau plus loin que je ne le pensais et c’est bien la preuve que dans le football et le sport, il n’y a pas de limites au ciel.
Quelles sont les différences entre le coaching d’un groupe professionnel et celui d’un groupe de jeunes joueurs ?
Ce ne sont pas les mêmes objectifs tout simplement.
Dans la gestion d’une équipe professionnelle, vous avez un résultat à obtenir, de part un classement, un maintien, se qualifier en Ligue des Champions ou Ligue Europa, etc. Le coach et l’équipe vont être jugés sur les résultats obtenus.
Dans le coaching de jeunes, l’objectif est de préparer le joueur de demain, de le former. Bien entendu, les résultats font partie de la formation du joueur mais ça n’est pas la priorité. Il y a tout un accompagnement sportif, scolaire et éducatif. De temps en temps, vous allez mettre les joueurs dans des situations inconfortables, voir délicates, pour les amener à se dépasser. Mais si vous adoptez cette manière de faire avec un groupe professionnel, vous risquez de vous mettre en danger. Pour moi, c’est deux métiers totalement différents.
Cette saison, l’équipe professionnelle du FC Metz réalise un très bon départ étant actuellement premier de Ligue 2. Est-ce que ces résultats influent sur les jeunes en formation, sont-ils une source de motivation pour eux ?
Bien sûr, c’est source de motivation! L’équipe professionnelle, c’est l’équipe phare du club, c’est la raison qui fait que nous sommes là. En tout cas, moi je suis Messin, je suis né à Metz, mon club de cœur, c’est le FC Metz. J’ai eu la chance, d’aller régulièrement au stade Saint-Symphorien avec mon papa, ancien journaliste, et mon frère, dès mon plus jeune âge.
C’est également source de motivation pour nos jeunes en Formation, à la Préformation, à l’Ecole de Football ainsi que pour les Féminines. Ça amène une dynamique positive au sein du club. On est aussi un département et une région qui aime le football. Le FC Metz est fortement ancré dans le giron au niveau régional. Les Mosellans ont besoin de voir notre équipe professionnelle en tête de ce championnat, car tout le monde souhaite la voir à nouveau en Ligue 1.
Vous semblez également très attaché à l’implication des jeunes du centre de formation au sein d’activités extra-footballistiques. Pourquoi est-ce important pour vous ?
De par mon éducation, je la dois à mes parents, à ma mère qui était directrice d’école. Les valeurs qu’ils m’ont inculqué… le partage et le respect que je tente à mon tour de transmettre. Mon rôle de formateur n’est pas seulement fait de football et de terrain, je me dois aussi de faire « grandir » les jeunes en leur proposant des choses complètement différentes afin de leur apporter un peu de fraîcheur. Les jeunes en centre de formation ont besoin d’une ouverture vers le monde extérieur, autre que le football.
Par le passé, lorsque j’étais responsable de la Préformation, en relation avec le staff de l’époque, nous avons mené plusieurs actions afin de fédérer le groupe et de travailler sur la cohésion. Dernièrement, Sylvain Marchal et Bertrand Barbier (le préparateur physique de la Formation) ont monté une action qui s’est déroulée au Fort de Queuleu à Metz. Ce Fort, a été construit lorsque l’Alsace-Moselle ont été annexées par les Allemands, des personnes faites prisonnières par la Gestapo étaient interrogées avant de « partir » dans les camps de concentration. Ils nous semblaient important de faire découvrir cela à nos jeunes joueurs, qu’ils appréhendent l’histoire de notre région, de notre ville, et qu’ils mesurent la chance inestimable d’être libre de pensées et de pouvoir faire du football. Je communique sur ces projets et ces actions à travers les réseaux sociaux parce qu’il me semble important de pouvoir mettre en avant ce qui est fait au FC Metz et par les jeunes. Cela contribue aussi à donner une belle image des jeunes joueurs de football qui sont plus souvent décriés et non valorisés dans les médias.
Est-ce qu’au sein de la formation au FC Metz vous mettez en place des actions pour préparer les jeunes joueurs à la vie d’un footballeur professionnel ? A la pression médiatique, à l’argent, aux influences de l’entourage, de l’agent ?
En effet, notre champs d’action ne se résume pas qu’au terrain. On se doit d’être là pour les accompagner et de les préparer à leur vie future en tant qu’Homme, et non de Footballeur. Pour ce qui est des actions à mettre en place, c’est le rôle de notre directeur (du centre de formation), Olivier Perrin avec ses équipes technique, pédagogique et éducative. Par exemple, Jonathan Nicloux, en charge de la vie au centre de formation, a monté un projet avec l’armée. Les Féminines, les U19, les U17 et les jeunes de la Préformation ont participé à cette journée de cohésion qui a eu lieu à la Plaine de Jeux début novembre dernier.
Quel est la plus belle réussite de votre carrière d’éducateur ? Mais aussi votre plus gros échec ?
Ma plus belle réussite : ma longévité (21 saisons à l’heure actuelle). J’ai énormément de chance de vivre de ma passion et je m’en rends compte tous les jours. Ce n’est pas simple de durer dans le métier. Il faut la confiance de ses dirigeants, surtout dans le milieu professionnel, et je les remercie de m’avoir à chaque fois reconduit. Cela fait 13 ans que je suis au FC Metz. Toutes ces années m’ont permis de rencontrer énormément de personnes, et plus particulièrement des joueurs. Ma réussite, c’est de les voir grandir à travers le temps et de garder contact avec eux. Je pense que notre mission, c’est avant tout de former des hommes.
Ma réussite, c’est également au travers de toutes les expériences vécues que je la mesure. Au fil de toutes ces années, j’ai pu découvrir beaucoup de pays et aller à la rencontre de différentes cultures : la Chine, le Sénégal dans le cadre de Génération Foot, où Olivier Perrin, notre directeur actuel du Centre de Formation au FC Metz était en place, les États-Unis et en Europe…
En termes d’échec, j’en ai aussi connu quelques-uns. Ce qui me vient en tête en premier, c’est la non-réussite du joueur car notre mission est de l’accompagner dans son parcours afin qu’il puisse atteindre son rêve, devenir un jour, joueur professionnel. Malheureusement, tous rêvent mais la réalité est tout autre. Leur « échec » en est aussi un pour moi. Mais l’important pour moi, c’est d’arriver à leur inculquer des valeurs qui leur permettront d’être des hommes accomplis dans leur vie familiale, affective et professionnelle, j’essaie de relativiser l’échec sportif.
Après, j’ai aussi connu des déceptions sur le plan sportif. Quand j’étais à la RS Magny, avec les « 13 ans », on menait 4-1 en demi-finale de la Coupe de Lorraine. Je n’avais encore jamais vécu de finale, chose que j’ai ensuite découvert avec Metz n’en remportant 7 d’affilés, série en cours, pour la petite anecdote (rire). On mène 4-1 et j’effectue un changement avec mon attaquant qui avait été « énorme »… Pensant que le résultat était plus ou moins acquis et voulant faire participer tout le monde. On est rejoint à 4-4, et on s’incline aux tirs au but. J’avais totalement déséquilibré l’équipe. Ce souvenir-là, je l’ai encore en tête parce que c’était au début de ma carrière. Et même si c’est un mauvais souvenir, ça m’a permis de grandir et de ne plus faire cette erreur sur les années suivantes.
J’ai connu une autre déception du côté de Magny. L’année où je pars, j’encadre deux équipes, les 16 Nationaux et les 18 Ans. On descend avec 16 Nat pour un point lors de la dernière journée et on ne monte pas en 18 Nationaux pour un point aussi avec les 18 Ans. Au départ de la saison, je m’étais engagé avec les « 16 ans ». Le club m’a demandé de m’occuper également des « 18 ans » avec Louis PELLIZZERI et j’ai accepté parce que j’étais passionné, jeune et investit à 200%. Avec du recul, je me dis que je n’aurai jamais dû accepter ce challenge relevé. Cela m’a aussi fait grandir… à la fin de cette saison je suis parti de Magny pour arriver à Metz. Cette expérience m’a permis de me remettre en question et d’analyser ce que j’avais fait de bien ou de moins bien. Et cela m’a permis également permis également d’intégrer une structure professionnelle, le FC Metz.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaitez pour la suite ? Et pour le FC Metz ?
Pour moi, ça serait de refaire à nouveau 21 saisons dans le football (rires). Si j’ai la chance d’être encore entraineur à 64 ans, je serai très chanceux. J’ai conscience d’être un privilégié… si la passion reste intacte, j’espère pouvoir continuer encore longtemps à exercer mon métier et vivre de ma passion.
Pour le FC Metz, bien entendu une remontée en Ligue 1 pour notre équipe professionnelle, le maintien en Division 1 pour les Féminines et, pour le futur, que l’on arrive à se maintenir dans ce championnat de Ligue 1 qui est de plus en plus relevé.
Au niveau de la Formation, que l’on puisse alimenter notre équipe professionnelle avec des jeunes du cru parce que cela doit être notre mission et ça sera la fierté des uns et des autres au sein du centre de formation de voir nos jeunes pousses dans notre équipe professionnelle en Ligue 1.
Merci à Bertrand Antoine pour sa disponibilité et gentillesse.